A propos du tableau : La sainte famille

La Sainte Famille acrylique sur toile 120x120 - janvier 2016

Ceux qui suivent avec attention le travail pictural de Paul MORELLET savent qu’il s’est longtemps concentré sur une certaine spatialité bleue occupant tout le champ de la toile, et plus ou moins peuplée ou dépeuplée. En tout cas vide de présence humaine.

Puis est apparu, énigmatiquement d’abord (Palingénésie, 2013), explicitement ensuite (Retour au pays natal, 2015), le thème du pays natal.

                         Du pays en tant que lieu extérieur concret, la petite cité de Poncin, avec son église et sa grosse tour médiévale, le glissement s’est effectué vers le foyer natal, la famille (Mes parents se marient, 2017) et la propre enfance du peintre (Comme une image, 2016).

Cette Sainte Famille est de 2016.

Petit Paul est là, sous la protection de ses parents et aux côtés de sa sœur. Cercle familial donc, mais en même temps mention biographique indirecte, citation détournée de sa date de naissance : le numéro du mensuel L’Ami des Jardins est celui de décembre 1950.

Paul MORELLET semble ainsi engagé dans une démarche mémorielle, voire de piété familiale. A vrai dire, le grand-père, héros éponyme, avait donné picturalement et bien avant le signal, ou un signe avant-coureur d’une telle reviviscence.

Cette nouvelle orientation se coule dans les caractéristiques de la manière du peintre : le travail du fond, la précision du dessin, le choix de la frontalité, la citation et l’auto-référence (ici, L’Ami des Jardins renvoie au catalogue de la Manufacture de Saint-Etienne, mis à contribution jadis), le procédé du semis (ici des moutons, ailleurs des chevreuils, autrefois des éléments inanimés ou purement géométriques, tels que cocottes en papier ou angles).

A titre accessoire, la juxtaposition des diverses pièces constituant le quasi-collage qu’est cette toile vaut indication objective, voire nostalgique chez ce créateur profondément jardinier, de la réalité toute rurale du pays natal en 1950…

A l’emporte-pièce, mon diagnostic : le peintre géomètre de jadis et de naguère s’est effacé devant le chantre sensible de la terre, du vivant et des fidélités humaines.

  Jean Paul PONTVIANNE, Octobre 2018

A propos du tableau : Encore beau

Encore beau, acrylique sur toile, 100x100, août 2017

Comme dans la chanson, cette toile est un véritable –et audacieux- « pot-pourri ». Si le terme vous semble inapproprié, remplacez-le par « collage », plus pictural et plus distingué… Reste l’audace de la juxtaposition d’éléments thématiques d’origine fort diverse.
Si l’on en croit le peintre, le point de départ du tableau est un mythe grec, celui de Coronis, fille de roi, belle évidemment et pour cela aimée d’Apollon (la liaison tourne très mal, mais Paul Morellet ne s’intéresse pas à la chronique people de l’Antiquité hellénique).
Ce qu’il retient du mythe, c’est l’oiseau, le corbeau ou la corneille, et sa métamorphose chromatique : en effet, de blanche qu’elle était en ces temps très anciens, elle devint noire pour avoir gravement contrarié le dieu. Et voilà donc une modeste corneille blanche, puisque passée par profits et pertes, et une imposante corneille noire (comme il se doit en nos jours contemporains) convoquées sur le fond bleu homogène de la toile.
Mais on se souvient aussi que, dans le récit biblique de la fin du Déluge, Noé envoie aux nouvelles d’abord un corbeau, qui néglige de revenir à l’arche, puis une colombe, plus obligeante et plus fiable, qui, elle, rentre porteuse d’un rameau d’olivier dans le bec : signe qu’on va pouvoir débarquer, ça sèche, la terre devient ferme !
Il y a encore autre chose : dans le tableau, ce corbeau semble aux ordres du personnage monumental de noir vêtu, mains sur les hanches, regard impavide, encore beau peut-être, mais surtout la mine redoutable, le peintre.
Or il se trouve que, dans la mythologie germanique, Wotan, le roi des dieux, a pour animal accompagnateur le corbeau. Morellet en Wotan, c’est à vrai dire un peu inattendu, mais il serait mal venu de critiquer l’inconscient du peintre…
Pour contrebalancer tout ce paganisme, une Vierge bien chrétienne et toute menue, empruntée à une Nativité du XVème siècle allemand. Mais attention ! pas une Vierge de la crèche, entre le bœuf et l’âne, mais une Vierge on the road, qui prie à l’étape à côté de son sac de voyageuse céleste, façon Kérouac !
Avec le sac de voyage, voici une auto-référence : Paul Morellet, grand voyageur dans un plus jeune temps, a peint des Voyageurs (1984), réduits à leurs chaussures et à de volumineux sacs, le thème ayant fait ensuite des réapparitions plus ou moins discrètes et directes.
Quant à la borne Nationale 1, c’est encore une auto-référence, mais à une toile bien plus récente, où le petit Paul chevauche son enfantine voiture à pédales…
Tous ces éléments sont proposés frontalement, sans aucune volonté de hiérarchiser, comme le permet l’artifice de la perspective, et sur un fond uniforme. Ainsi peut-on dire que le tableau fonctionne comme un rébus à l’adresse du spectateur. C’est ce rébus que j’ai prétendu déchiffrer !
Maintenant, si toutes ces considérations vous paraissent oiseuses, oubliez-les et dites que la toile est un autoportrait… jupitérien !

Jean Paul PONTVIANNE, 15 octobre 2018

Citation

Il y a un grand danger d’être mal compris quand on ne dit rien. Mais aussi quelle dose de perversité quand on veut exprimer rien (ou presque) de choisir le moyen de l’art qui, d’après le sens commun, est un mode d’expression ?

François Morellet

A propos de l’exposition : Morellet, histoire de familles

Le Centre d’Art Contemporain de Lacoux occupe, depuis sa création en 1971, une place originale dans le paysage de l’art actuel . Il porte cette singularité à plusieurs titres : son pari, démontrer que la création contemporaine est un formidable support d’ouverture au développement local, que les caractères du territoire constituent autant d’éléments et d’axes de recherche pour un site culturel en friche … un laboratoire pour les arts vivants ouvrant la voie à des expériences, des rencontres alternatives ou atypiques, entre le public, les publics et les propositions plastiques d’aujourd’hui .

C’est dans ce sens qu’a été entreprise une démarche de collaborations actives, présentes et à venir, entre le Centre d’Art Contemporain de Lacoux et l’Office Municipal de la Culture de Poncin à l’occasion de l’exposition Morellet .

Alors, si tout n’était au fond qu’une question de hasard, une histoires de rencontres ? L’exposition Morellet, conjuguée au pluriel, en apporte certainement la preuve . Cette attention en forme de résolution généalogique, ou peut-être d’hypothétiques retrouvailles entre François et Paul, décline naturellement ces géographies intimes vers les champs de l’imaginaire . Alors quoi de plus conséquent que ces aléatoires correspondances nourrissent un territoire culturel aux limites indéfinies et mouvantes ?

Gageons que la géométrie partagée des protagonistes rende au réel sa juste part . La tension naissante des espaces plastiques proposés ne participe-t-elle pas d’un goût consommé pour l’humour, d’un sens premier de l’absurde, d’une application du vivant sur la mathématique ? Alors comment envisager le mythe contemporain aujourd’hui en omettant l’urgence du vivant, le probabilisme de notre condition ? C’est à ce singulier rappel que semblent nous inviter François, Paul et les autres, à travers l’exigence de leurs mythologies personnelles au regard de l’histoire collective. Assistons donc, séduits, à cette belle turbulence, celle de la poésie des possibles, face à la chute des improbables .

Philippe Marchado, administrateur du Centre d’Art Contemporain de Lacoux

Paul Morellet : De la permanence de l’énigme

Une chose est sûre : Paul Morellet est né en 1950 dans l’Ain, et il y réside toujours !

Il semble qu’il ait eu très tôt le goût du dessin, et qu’il ait pratiqué avec assiduité . Peut-être même dans les moments d’ennui de ses jours de classe.

Classe après classe, ses études le conduisent à l’Ecole Normale d’Instituteurs de Bourg-en-Bresse ; et, quand il en sort, c’est à lui de faire la classe . Le tableau noir est-il pour lui une surface de travail exaltante ? On ne sait et il ne dit . Toujours est-il que déjà, il a commencé à peindre, et les œuvres les plus anciennes qu’il ait conservées datent de la charnière des années 1960 et des années 1970 .

De cette époque font partie des formats plutôt restreints, où le thème du chevalier en armure est traité avec humour, un humour parfois grinçant . Les éléments métalliques de l’armure donnent lieu à un traitement en déconstruction reconstruction qui rappelle parfois Fernand Léger . Paul Morellet fait ses gammes .

Puis les formats s’agrandissent nettement et il poursuit un carrière d’exposant : dans la région Rhône-Alpes, mais aussi dans d’autres régions de France, en Italie et même sur un bateau de croisière . Il connaît le succès et c’est alors un peintre nettement engagé dans la vie artistique, extraverti et affectionnant les voyages lointains (Roumanie, Afghanistan) . Son travail se centre progressivement sur le traitement de la couleur et il met au point sa technique qui va devenir comme sa signature, du dégradé . Il y restera fidèle en la subtilisant, en l’affinant, en y apportant des soins de plus en plus attentifs .

La toile devient un champ de couleur, d’une couleur dominante, homogène, variable d’un tableau à l’autre (rose, ocre, etc …), qui figure l’espace, le fond . Un espace, un fond, un champ dans lequel viennent s’ordonner des scènes, ou plutôt des combinaisons d’objets toujours représentés avec précision : mais leur référentiel n’est pas le réel habituel . Ici commence le territoire de l’énigme .

Que dire d’une toile intitulée Les voyageurs, qui associe dans un champ chromatique à dominante ocre deux paires de chaussures, deux sacs à dos et une montgolfière sans nacelle, qui vient de prendre son envol ? Il y a bien la suggestion d’un sens, mais il y a aussi des bornes, il manque des éléments essentiels pour que le sens soit avéré . Paul Morellet, dans de tels essais de réalisme fantastique, se comporte en décepteur d’une attente : humour nouveau, détournement humoristique, étrangeté, parfois inquiétante étrangeté . D’autant que cet univers est vide de présence humaine – tout au plus un fragment de corps humain, une jambe de femme – vide de présence vivante .

Cette étrangeté, plastiquement traduite de manière si puissante, Paul Morellet est-il peu à peu venu à l’éprouver dans son activité professionnelle, dans sa vie de peintre ? Toujours est-il que, vers le milieu des années 1980, survient une rupture : il quitte l’enseignement ; il abandonne le personnage de l’artiste extraverti, voire mondain, il n’expose plus ; sans doute aussi peint-il moins …

Durant cette traversée du désert, et quand il en sort, son travail plastique s’est épuré, comme une sorte d’ascèse esthétique . La technique du dégradé trouve sa terre d’élection, sa couleur de prédilection : le bleu . L’œuvre devient l’œuvre au bleu, alchimie toute personnelle du peintre, patience de la constitution minutieusement réglée, rituelle presque, de ces champs de bleus .

Toujours présents, flottant sans amarres dans ces champs de bleu, c’est-à-dire déroutant l’attente d’une liaison logique ou fondée sur l’expérience, des objets ou parfois des êtres détournés du monde réel ; mais on ne peut pas affirmer qu’ils aident à constituer le sens du tableau, étant la plupart du temps eux-mêmes énigmatiques : ce fragment de colonnade grecque, cette jeune fille et sa bicyclette, ces trois piquets avec une ombre portée qui n’est pas la leur …

On atteint parfois la limite du travail d’épuration : cinq lignes verticales tendues sur l’espace bleu ; la recherche esthétique de Paul Morellet pourrait-elle alors comporter comme possibilité la disparition de tout motif : un travail uniquement sur le champ des couleurs ? Il estime que cette direction a déjà été explorée : par les américains, par Yves Klein, par Pierre Soulages . L’ascèse esthétique du peintre ne le porte pas vers une aridité de type zen, vers une solitude glacée . Pour lui, de même qu’un monde humain ne saurait être un monde vide (au moins comporte-t-il une famille, quelques amis, des relations de travail, et aussi tout ceux qui viennent regarder ses œuvres et échanger avec lui à leurs propos, ne serait-ce qu’une fois de manière fugace …), il faut qu’il y ait quelque chose dans l’espace chromatique . De toute nécessité .

Cependant, Paul Morellet désire maintenant abandonner l’objet reconnaissable, et lui substituer de simples formes, des éléments en relief (pastilles) pris dans l’épaisseur de la peinture . Ses œuvres les plus récentes vont dans cette direction et il envisage des collages, des éléments matériels rapportés sur la toile .En somme, de faire des propositions en vue de faire émerger à nouveau au seuil de perception des ingrédients négligés du réel familier . Manière de restaurer du sens , ou de renouveler le sens, mais jamais dans un langage univoque et immédiatement clair .

C’est pourquoi Paul Morellet est discret, voire muet sur sa propre peinture . Il fuit les questions qui tendent à le placer dans la position de l’oracle supposé savoir le sens, le seul et unique sens de ce qui est offert à la perception sur la toile . Il les élude et les retourne en vous renvoyant à votre faculté d’interprétation : le sens est pluriel, les interprétations s’enrichissent mutuellement, celle du spectateur de l’œuvre a autant de droit à la vérité que celle du créateur lui-même . Et finalement, il n’est pas déplacé de dire que nous sommes dans une situation singulière, où le « créateur » a besoin du « spectateur » pour l’aider à constituer ou à reconstituer le sens qui, à un moment de son existence d’homme et d’artiste, lui a semblé faire si cruellement défaut .

Alors qu’on prête si volontiers à l’artiste un rôle de phare, de révélateur, quand ce n’est pas de voyant, l’attitude de Paul Morellet est d’une étonnante humilité .

Depuis la fin des années 1980, il a recommencé à exposer régulièrement, sinon fréquemment, mais en dehors de tout engagement médiatique et avec une sorte de fatalisme . Il travaille dans son cabinet d’architecture, ou il déploie la même rigueur et la même précision qu’il met à la réalisation d’une toile et qu’il a investie dans la conception et l’aménagement de la maison qu’il habite actuellement .

Cette rigueur, cette précision, il les emploie, à l’opposé de l’hyperréalisme, à transformer le réel familier en rébus oniriques, ou, tel le Sphinx dont il se donne les allures, à proposer au spectateur des énigmes . Et, peut-être, à proposer au spectateur sa propre énigme, à lui Paul Morellet, homme, c’est à dire incomplet et incertain .

Jean-Paul Pontvianne – janvier 1999